Analyse de la vidéo buzz de Nicolas Hulot Break The Internet

Le clip de Hulot pour la Cop 21, ou l’art de la « mise en abîme »

La Cop 21 qui se déroulera en décembre à Paris devrait aboutir à un nouvel accord sur le climat. Nicolas Hulot, via la fondation éponyme, a trouvé deux moyens imparables de rallier les gens à cette cause et mobiliser les politiques : la mise en scène et la mise en abîme.

Une nouvelle façon de se mettre en scène

Se mettre en scène, Nicolas Hulot a toujours su le faire. Surtout lorsqu’il s’agit d’alerter les citoyens sur les risques du réchauffement climatique. La sincérité est l’une des forces de l’ancien animateur, mais il finit par faire tellement partie du décor médiatique et politique français qu’on en vient à ne plus vraiment l’écouter. Sans compter qu’il finit également par se répéter. La nouveauté ne vient donc pas du fond du message, mais de sa mise en forme. Malgré quelques tentations (candidat déchu aux primaires organisées par les écologistes en 2011), Nicolas Hulot s’est gardé de se prononcer politiquement, souhaitant mettre l’écologie au cœur du débat public . Dire que ce débat n’a jamais vraiment eu lieu serait un euphémisme.

Le réchauffement climatique est une urgence qui concerne tout le monde, indépendamment d’un parti ou d’une faction. À la veille de la Cop 21, comment alerter l’opinion sur le risque que l’humanité encoure si la température grimpe de deux petits degrés ? Être une nouvelle fois invité sur un plateau de télévision ? Sortir un livre ? Organiser un colloque ? Tout ça, Nicolas Hulot l’a déjà fait puisqu’il enchaîne les interviews pour la sortie de son dernier opus : Osons, plaidoyer d’un homme libre. Mais est-ce suffisant à une époque où l’événement médiatique se crée plutôt derrière un écran numérique qu’entre les lignes d’un livre ? Non. Pour alerter l’opinion, Nicolas Hulot devait se mettre en scène une nouvelle fois, mais différemment.

Europe 1 a parlé de « carton », Les Echos de « jolie leçon de politique », et Challenges l’a présenté comme un « coup de gueule ». Le titre de la vidéo était prémonitoire : Break The Internet. Effectivement, le succès fut tel que les serveurs de la fondation Hulot ont littéralement craqué ! Et les bugs provoqués ont empêché nombre de militants et sympathisants de signer la pétition en ligne pendant quelques heures – un empêchement vécu par les internautes comme un nouvel événement en soi, symptomatique d’une incroyable effervescence qui fit paradoxalement redoubler le buzz sur les réseaux sociaux. Quelques heures à peine après la mise en ligne de la vidéo, la fondation twittait :

La mise en abîme comme tactique de distanciation

En se mettant en scène dans un film humoristique pour sensibiliser le public et heurter les hommes politiques, Nicolas Hulot touche son cœur de cible : le plus grand nombre. Dans cette vidéo, on voit l’ancien journaliste perdu face à un trio de communicants le conseillant sur divers scenarii pour un film de sensibilisation au réchauffement climatique. Autrement dit, un film dans un film, soit une véritable mise en abîme. Ce choix n’est pas anodin : Nicolas Hulot y joue son propre rôle et délivre son message à des communicants chargés d’alerter le public. En mettant en scène sa propre capacité à les convaincre, il nous persuade de manière détournée, comme par un effet de ricochet. L’approche indirecte est toujours préférable à une démarche plus frontale, qui risquerait d’être jugée trop poussive ou racoleuse.

Plus fort encore : en établissant ce rapport dialectique face aux communicants, il donne l’impression d’être étranger aux stratégies de com’ préconisées par ceux-ci, comme s’il en était ignorant ou qu’il s’y soustrayait totalement – et préserve ainsi sa si précieuse « authenticité ». Le risque de la com’, exactement comme celui de la publicité, est de manquer son effet dès que celle-ci est trop nettement identifiée comme telle. En psychologie, on parle de « réactance » (1) : face à une tentative d’influence, dès que la cible prend conscience de la direction dans laquelle elle se retrouve poussée, elle cherche instinctivement à en prendre le contre-pied pour rétablir ou préserver son illusion de liberté. Toute stratégie d’influence digne de ce nom doit donc prendre en compte le risque d’effet retors de ce mécanisme de défense. Le public se méfie de plus en plus des grands coups de com’. Mais ici, tout en agissant en parfait communicant, en orchestrant avec une indéniable maestria son coup médiatique, Nicolas Hulot évite habilement de s’enfermer dans ce rôle et se positionne davantage en homme de terrain préoccupé par le concret et à qui échappe cette logique de l’image.

Qu’est-ce que cela nous montre ? Cela fait apparaître Nicolas Hulot comme réellement impliqué par la mission qu’il porte. Il ne semble pas verser de lui-même dans une forme de marketing politique en quête de buzz, de nombre de vues, de likes et de retweets, mais il comprend que les codes ont changé et qu’il faut adapter son message avec les références de notre époque pour parler au plus grand nombre. Il le fait, sans réticence mais non sans une certaine résistance, en se montrant à certains moments surpris voire interloqué. Il se montre volontairement décalé, certes quelque peu déconnecté, mais d’autant plus touchant : il faut lui expliquer les nouvelles façons de communiquer, jeu auquel il accepte alors volontiers de se prêter non par orgueil, mais pour servir sa cause. Et pour buzzer tout en revendiquant ce côté décalé, quoi de mieux que de s’allier avec ces stars du Web que sont les youtubeurs de Golden Moustache ?

L’humour et la proximité, ingrédients clés du succès

Si la mise en scène en communication est primordiale pour incarner un message, la mise en abîme permet de rentrer dans les coulisses, d’entraîner en quelque sorte le spectateur dans « l’envers du décors » et donc de parachever cet objectif de proximité. L’humour permet par ailleurs de déculpabiliser les gens face aux prescriptions drastiques des écologistes dans leur guerre contre réchauffement climatique. Plus le droit de péter, vraiment ? (séquence de 1’22 à 1’40) Tout dépendrait-il seulement de nos actions individuelles ? (« Bien fermer le robinet pendant qu’on se brosse les dents… trier ses déchets… manger bio… mais ce n’est pas de cela dont on parle aujourd’hui », séquence 4’05 à 4’15) Faut-il s’agenouiller devant la Cop 21 ? (« Ce nom… il est vraiment nul… », 4’18) Pourquoi signer une pétition ? (le célèbre acteur de Bref Kyan Khojandi qui désamorce aussitôt les réactions automatiques : « Moi je signe jamais les pétitions ? C’est un principe de merde ça ! », 4’42). Dès le début du film, la vision la plus catastrophiste est elle-même tournée en dérision dans sa version la plus caricaturale (séquence de 0’40 à 0’59).

Tour à tour vêtu d’un blouson de cuir avec l’air grave dans un décor apocalyptique ou parodiant cet autre youtubeur star qu’est Norman, Nicolas Hulot exprime un message clair : il est déjà trop tard, mais si les hommes politiques ne font rien, alors l’humanité disparaîtra. Abonné aux messages alarmistes, Nicolas Hulot opère ici une mue inédite : celle d’un quinquagénaire que l’on pensait faire partie des meubles, en un homme acteur de son temps, et acteur dans tous les sens du terme. Il a su s’adapter aux codes et pratiques des nouveaux moyens de communication – et il en joue. En cela, c’est un coup de com’ magistralement orchestré comme nombre de politiques pourraient en rêver : l’écologiste a cassé son ancienne image qui le cantonnait à l’arrière garde pour porter son message plus en avant, et il a réussi.

Note(s) :

(1) : Sharon S. Brehm (1981, à partir d’une expérience réalisée en 1966 sur un groupe d’enfants), « Psychological reactance and the attractiveness of unobtainable objects: Sex differences in children’s responses to an elimination of freedom », in Sex Roles, volume 7, no 9,937-949

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