GDF Suez devient Engie

GDF Suez rebaptisé Engie : les enjeux d’un changement de nom de marque

Le groupe a annoncé son nouveau nom commercial le 24 avril dernier : GDF Suez devient Engie. Un changement de nom ayant de profondes implications, révélant paradoxalement la difficile émergence de la concurrence sur le marché français de l’énergie…

Pourquoi changer de nom ?

Changer de nom de marque est toujours une opération délicate et représente un enjeu majeur auprès des consommateurs ou usagers. Ces vingt dernières années, près de la moitié des entreprises du CAC 40 a changé de nom. Sur le plan marketing, il peut s’agir d’opter pour un nom plus tendance, moins démodé, de l’adapter à un développement à l’international, ou encore de tenter de faire oublier un scandale, un very very bad buzz… Mais cela revient de fait à anéantir la confiance et la notoriété patiemment capitalisées au fil des années. L’entreprise pourra-t-elle appliquer la même « prime de marque » aux consommateurs ainsi déboussolés ? Pourra-t-elle seulement les récupérer ?

C’est pourquoi changer de nom pour un grand groupe peut être perçu comme un échec, et relève souvent moins de la décision stratégique que de la contrainte juridique – incompatibilité avec une réglementation en vigueur, trop grande proximité avec un nom déjà existant dans un même secteur d’activité ou un autre pays, etc. Le nom « GDF Suez » donné au groupe lors de sa création en 2008 ne consistait d’ailleurs en rien d’autre qu’en la simple association des noms des deux entreprises qui fusionnaient alors, « Gaz de France » d’une part, « Suez » d’autre part… Pourquoi « Engie » aujourd’hui ?

Ce changement de nom fait suite à la demande de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui critiquait la politique de marque du distributeur ­d’électricité dans un rapport paru en début d’année. La CRE dénonçait notamment le fait que les identités visuelles, les sigles et logos d’EDF étaient trop proches de ceux d’ERDF – de même pour GRDF et GDF Suez, jugés suffisamment distincts mais exigeant tout de même des modifications. D’où une confusion évidente pour le consommateur, qui en venait à faire l’amalgame entre « les missions de service public de distribution d’électricité et de gaz naturel et l’activité de fourniture d’énergie de leurs maisons mères », dixit la CRE.

Logo EDF ERDF GDF GRDF

La réalité du marché de l’énergie

Depuis le 1er juillet 2007, les particuliers qui étaient clients d’EDF et GDF Suez peuvent désormais choisir leur fournisseur d’électricité et de gaz, à la suite des industriels en 2000 et des professionnels (indépendants, PME, etc.) en 2004. Mais les clients ont-t-ils seulement compris et intégré ce processus de libéralisation du marché français de l’énergie ? Les pouvoirs publics sont restés très discrets sur le sujet, et l’on peut bien évidemment soupçonner EDF et GDF Suez d’entretenir sciemment la confusion avec ERDF et GRDF – jouissant de la sorte d’une notoriété et d’une situation de monopole héritées. Rares sont les clients ayant osé quitter feus EDF et GDF Suez. Et la crainte – non fondée, donc – d’une rupture d’alimentation ou de devoir changer de compteur électrique y est certainement pour beaucoup.

ERDF (acronyme de « Électricité Réseau Distribution France ») est et reste le gestionnaire du réseau public de distribution de l’électricité en France, une activité qui relève toujours du service public, régulée par l’État français et non soumise à concurrence. Par contre, EDF (pour « Électricité De France »), producteur et fournisseur historique de l’électricité en France, n’est désormais plus qu’un acteur parmi d’autres tels que Direct Énergie (avec lequel a fusionné Poweo), Alterna, Enercoop, énergem, Lampiris, Planète OUI et Proxelia – qui comptent tous comme nouveaux fournisseurs d’électricité possibles pour les particuliers. De même pour GRDF, qui exploite le réseau d’acheminement de gaz naturel et gère entre autres le raccordement entre le réseau basse pression et les particuliers ou entreprises. Mais cette mission s’effectue pour le compte de tous les fournisseurs présents sur le marché, sans distinction : une fois raccordé, un consommateur peut librement choisir son fournisseur de gaz – parmi lesquels on retrouve Direct Energie, ainsi qu’Engie donc, et auxquels s’ajoutent d’autres offres comme Evolucio (proposée par la société ENI, le pendant italien d’Engie, ex-entreprise nationale elle aussi).

Ce contexte très particulier permet de mieux comprendre l’enjeu de la campagne de publicité autour du nouveau nom « Engie ». Alors qu’un nouveau nom peut induire la volonté de se débarrasser de l’ancien et de ce qui y est associé, ou cherche au contraire à valoriser leur proximité et à la préserver, Engie se retrouve pris dans un double mouvement contradictoire :

  • L’obligation juridique d’un nom suffisamment différenciant ;
  • L’impératif économique de préserver la notoriété et la situation de la marque précédemment constituée.

Naming et stratégie

Un simple changement de nom, qui semble bien souvent relever de la pure convenance du point de vue du grand public, peut donc masquer de profondes implications. Et le nom de marque, vecteur le plus élémentaire de la communication d’une entreprise, peut participer de la structuration d’un marché tout entier. Dans le cas de GDF Suez et d’EDF, il nuisait directement à l’émergence d’une concurrence efficiente dans le secteur de l’énergie traditionnellement soumis à monopole.

Concernant le nouveau nom en lui-même, on peut saluer les spécialistes du naming qui ont trouvé « Engie ». Les noms en deux syllabes, qui plus est en à peine 5 lettres, se font de plus en plus en rares en France et à l’international (marques déposées, noms de domaine en « .com » et autres extensions réservés, pseudos utilisés sur divers sites et comptes bloqués sur les réseaux sociaux, etc.). A l’usage, les noms qui s’étendent trop (à partir de trois syllabes) se retrouvent mécaniquement contractés, de même que les acronymes à rallonge. D’où la prolifération de noms créés par d’hasardeuses combinaisons de lettres, sans aucun sens, sacrifiant la charge sémantique pourtant nécessaire pour se figer convenablement dès l’origine dans l’esprit du consommateur. Dans le cas d’Engie, le nom fournit d’emblée le diminutif du mot usuel qui n’aurait de toute façon pu être utilisé comme tel (puisqu’il s’agit d’un nom commun) : énergie… Le nom « Engie » se construit ainsi sur une subtile homonymie à résonance synonymique du terme désignant le secteur même sur lequel l’entreprise se positionne. Remarquable.

Alors que le naming et même la com’ au sens large traitent de questions qui passent souvent pour superficielles – pour ne pas dire superflues – aux yeux de certains, nous voyons ici l’importance de communiquer à notre tour et à tous les niveaux sur ce changement de nom. Non pas se contenter de relayer le faire-part de naissance d’Engie, mais mettre en lumière ses implications : faire davantage prendre conscience de la nouvelle réalité concurrentielle du marché français de l’énergie. Une concurrence et une libéralisation somme toute relatives puisque l’État détient toujours près d’un tiers du capital du groupe structuré en minorité de blocage… Mais le consommateur a désormais le choix – gageons qu’il s’en serve, par exemple pour tirer les prix vers le bas.

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