Détecteur de mensonges Othello

Le polygraphe : une méthode infaillible ?

Le polygraphe est de loin le plus populaire des détecteurs de mensonge, et pour cause: les premiers détecteurs de mensonges utilisant les réponses physiologiques d’un suspect datent de -1000 avant J.C., en Chine. On obligeait alors les personnes suspectées de mentir à mâcher du riz sec avant de le recracher : si le rejet était sec, la personne était alors déclarée coupable. Le principe sous-jacent de cette expérience était réel : la “peur” ressentie par un individu est effectivement associée à une bouche asséchée et à une diminution de la salivation [1].

Aujourd’hui, les polygraphes utilisent bien sûr d’autres mesures d’activités physiologiques, allant du rythme cardiaque à la pression sanguine, en passant par les plus modernes imagerie thermique, analyse du stress dans la voix, ou encore des mesures d’activité cérébrale.

Aussi sophistiquées ces mesures soient-elles, le polygraphe constitue-t-il pour autant un détecteur de mensonge infaillible ?

Principes et champ d’application du polygraphe

Différents tests au polygraphe existent, mais le plus courant de ces tests, le CQT (ou “Comparative Questions Test” en anglais) est fondé sur l’anxiété ressentie par les suspects lors d’un interrogatoire. Les promoteurs de ces tests avancent l’idée que des personnes suspectées d’un crime auront des réponses physiologiques différentes selon qu’elles soient innocentes ou coupables d’un crime.

Ces tests sont pratiqués dans de nombreux pays, incluant la Belgique, le Canada, la Chine, Israël, le Mexique, la Norvège et les USA [2][3][4][5]. Bien que ces tests servent uniquement à obtenir une idée quant à la crédibilité d’un suspect dans la majorité des pays et n’ont aucune portée légale, les résultats des tests au polygraphe sont acceptés en tant que preuve dans les tribunaux de Belgique par exemple. [6][7]

Les phases d’un interrogatoire au polygraphe

Une séquence de questions spécifiques

Un interrogatoire au polygraphe (de type CQT) contient typiquement plusieurs séquences comprenant chacune:

  • Une question neutre (“habitez-vous en France ?”)
  • Une question dont la réponse sera probablement un mensonge (“avez-vous déjà pris quelque chose qui ne vous appartenait pas dans votre vie ?”)
  • Une question spécifique au crime (“avez-vous pris l’argent qui se trouvait dans la caisse de votre employeur mardi dernier ?”)

Tandis que les questions neutres ne servent qu’à combler le nombre de questions posées lors de l’interrogatoire et ne sont pas analysées, les questions conduisant probablement à un mensonge servent en réalité de référence à l’analyse des questions spécifiques.

Ces questions au mensonge-probable sont systématiquement formulées de manière vague, recouvrent une longue période de temps, et sont tournées de telle manière qu’une réponse “Non” à cette question sera très certainement un mensonge de la part des suspects, qu’ils soient innocents ou coupables.

Bien que les suspects puissent admettre avoir commis de telles actions en d’autres circonstances, il est peu probable qu’ils le fassent dans le contexte d’un interrogatoire, où l’admission d’un méfait passé pourrait conduire l’examinateur à penser que le suspect est le genre de personne à pouvoir commettre le crime en question.

Si toutefois le suspect répondait honnêtement aux questions au mensonge-probable (“avez-vous déjà pris quelque chose qui ne vous appartenait pas dans votre vie ?”), l’interrogateur tenterait alors de minimiser la portée de la confession (“Très bien, mais vous étiez alors très jeune. A part cela, avez-vous déjà pris quelque chose qui pourrait me faire penser que vous avez voler l’argent de la caisse de votre employeur ?”).

Les questions au mensonge-probable sont formulées de manière à créer un dilemme chez les suspects. D’une part, les suspects croient qu’une réponse “Oui” à ces questions conduiront l’interrogateur à les penser malhonnêtes et coupable du crime en question. D’autre part, ils croient qu’une réponse mensongère à ces questions vont conduire à de fortes réponses physiologiques de leur part, et également conduire l’interrogateur à les penser coupable [1].

Des réponses physiologiques différentes chez les innocents et les coupables

En réalité, les questions au mensonge-probable sont conçus pour provoquer de fortes réactions physiologiques chez tous les suspects. Toutefois, ces questions sont censés servir d’étalon, de référence à l’interprétation des réponses aux questions spécifiques au crime (“avez-vous pris l’argent qui se trouvait dans la caisse de votre employeur ?”).

En effet, les questions au mensonge-probable sont censées provoquer de plus grandes réactions physiologiques que les questions spécifiques au crime chez les innocents (puisque ceux-ci ne mentent qu’une fois).
En revanche, un phénomène opposé est censé se produire chez les personnes coupables d’un crime: puisque ceux-ci mentent en répondant aux deux questions, mais que les questions spécifiques au crime représentent une plus grande menace pour eux, les coupables devraient avoir de plus vives réactions en répondant aux questions spécifiques au crime.

Ainsi, l’interrogateur conclut son analyse en comparant les activités physiologiques des suspects aux questions au mensonge-probable et aux questions spécifiques au crime:

  • Si le suspect réagit moins vivement aux questions spécifiques au crime, il est déclaré innocent
  • Si le suspect réagit plus vivement aux questions spécifiques au crime, il est déclaré coupable

Critique des tests CQT au polygraphe

Trois critiques des interrogatoires au polygraphe décrits plus haut peuvent être faites:

  • 1) Ces tests sont fondés sur des bases théoriques faibles
  • 2) Des stratégies pour “battre” le polygraphe sont applicables
  • 3) Des équipements sont nécessaires à la conduite de ces tests
  • Des fondations théoriques faibles

    Comme nous l’avons vu, les questions posées lors d’un test au polygraphe (de type CQT) sont censées discriminer les suspects innocents des coupables en provoquant des réactions physiologiques différentes.
    Toutefois, il n’y a aucun consensus au sein de la communauté scientifique quant au fait que de telles différences de réactions existent.[8]

    Pour ne prendre que cet exemple, imaginons qu’un mari innocent du meurtre de sa femme qu’il vient de découvrir, soit interrogé. Compte-tenu de l’état émotionnel dans lequel il se trouve, ne peut-on pas s’attendre à ce qu’il réagisse très vivement aux questions spécifiques au meurtre de son épouse ?

    Des stratégies efficaces de “contre-mesure”

    Dans une expérience testant la robustesse des test CQT (Honts et al., 1987), les participants furent entraînés aux techniques (ou “contre-mesures”) permettant de “battre” le polygraphe.[9] Ces techniques peuvent aussi bien comprendre des contre-mesures physiques (se mordre les lèvres, taper du pied) que mentales (compter à rebours par exemple).

    Les résultants furent cinglants: 70% des personnes coupables et entraînées aux contre-mesures furent déclarées “innocentes”. Et les tests réalisés sur les 30% de coupables restants furent considérés comme peu-concluants. Autrement dit, aucun des participants coupables ayant employé des stratégies de contre-mesure ne fut classé comme coupable !

    En revanche, 80% des coupables n’ayant pas utilisé de stratégie particulière furent bel et bien détectés comme “coupables”

    L’ utilisation d’équipements spécifiques

    Enfin, les tests au polygraphe requiert un certain nombre d’appareils capables de mesurer l’activité physiologiques des suspects. Pour la plupart ces appareils sont intrusifs et ne rendent pas leur utilisation dans la détection du mensonge facilement applicable (exemple: entretiens d’embauche).

    Quels autres tests au polygraphe existent-ils ?

    D’autres tests au polygraphe, moins répandus chez les professionnels mais plus prometteurs aux yeux de la communauté scientifique, existent.

    Entres autres, les tests dits “GKT” (ou “Guilty Knowledge Test” en anglais) sont globalement peu utilisés par les professionnels, mais couramment conduits dans certains pays comme le Japon ou Israël. Le GKT repose sur des bases scientifiques solides et présentent des taux de détection supérieurs à 70% [1]. Il nécessite cependant que l’interrogateur ait à sa connaissance des éléments du crime que seul le coupable puisse connaître (par exemple, l’arme du crime).

    Conclusion

    Le polygraphe est le détecteur de mensonge le plus souvent cité en référence. Dans l’imaginaire populaire, c’est également un des moyens les plus fiables qui existe afin d’évaluer la sincérité d’un individu.

    Parmi les différents tests réalisés à l’aide d’un polygraphe, le test CQT (“Comparative Questions Test”) est le plus répandu actuellement chez les professionnels. Bien que le taux de détection de ces tests varient trop d’une étude à l’autre pour avancer un chiffre précis, les interrogatoires utilisant des tests CQT permettent bel et bien de différencier les suspects coupables d’un crime des innocents à des taux supérieurs à celui de la chance [8].

    Toutefois, du fait de leur manque de fondation théorique et leur sensibilité aux stratégies dites de “contre-mesure”, les tests CQT au polygraphe sont loin d’être infaillibles et ne devraient donc pas être accepté comme preuve dans des tribunaux (comme c’est le cas en Belgique).

    Enfin, l’appareillage nécessaire à la conduite de tests au polygraphe rend bien souvent son utilisation limitée dans des domaines autres que criminels.

    >Références :

    [1] Vrij, A.(2008a). Detecting lies and deceit: Pitfalls and opportunities (2nd ed.). Chichester, England: Wiley
    [2] British Psychological Society (2004). A review of the current scientific status and fields of application of polygraphic deception detection. Final report from the BPS Working Party. Leicester, England: British Psychological Society.
    [3] Honts, C. R. (2004). The psychophysiological detection of deception. In P. A. Granhag & L. A. Strömwall (Eds.), Deception detection in forensic contexts (pp. 103–123). Cambridge, England: Cambridge University Press.
    [4] Lykken, D. T. (1998). A tremor in the blood: Uses and abuses of the lie detector. New York: Plenum Press
    [5] Svebak, S. (2006). Polygraph tests in Norwegion courts: Legal statud and future potential. Paper presented at the European Expert Meeting on Polygraph Testing. University of Maastricht, Maastricht, the Netherlands, 29–31 March.
    [6] Daniels. C. W. (2002). Legal aspects of polygraph admissibility in the United Stated. In M. Kleiner (Ed.), Handbook of polygraph testing (pp. 327–338).
    San Diego, CA: Academic Press.
    [7] Van der Plas, M. (2006). The use of the polygraph in Belgium. Paper presented at the European Expert Meeting on Polygraph Testing. University of Maastricht, Maastricht, the Netherlands, 29–31 March.
    [8] National Research Council (2003). The polygraph and lie detection. Committee to Review the Scientific Evidence on the Polygraph. Washington, DC: The National Academic Press.
    [9] Honts, C. R., Raskin, D. C., & Kircher, J. C. (1987). Effects of physical countermeasures and their electromyographic detection during polygraph tests for deception. Journal of Psychophysiology, 1, 241–247

    CC. Crédit photo : Gabriel Rodríguez

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