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Communication politique et non violente : une parole profitable à tous

Le 23 février 2018, en visite chez PSA Mulhouse, le ministre des Finances Bruno Le Maire s’est fait prendre à partie par un ouvrier syndicaliste CGT, Salah Keltoumi. La vidéo a largement circulé sur le web et dans les rédactions télé. Il faut dire que Salah Keltoumi est habile, ses propos sont légitimes et sa rhétorique particulièrement maîtrisée. Notre ministre, sans être pour autant en difficulté, ne tire pas pleinement parti de la situation. Dans cet échange musclé, sans parler « d’erreurs » ou de « fautes » de communication politique, nous y voyons cependant des occasions manquées.

Le piège introductif : du pied-dans-la-bouche au sursaut négatif

A la sortie de la voiture que le ministre vient d’essayer, la toute nouvelle DS7 Crossback, tandis qu’il en loue chaudement les qualités et félicite tout aussi chaleureusement le président du groupe PSA Carlos Tavares, Salah Keltoumi l’apostrophe : « Ça va très bien pour les actionnaires, ça va très bien pour monsieur Tavares qui touche 15 000 euros par jour ; ça va très mal pour les intérimaires, ici, qui touchent, pour certains ce mois-ci, moins de 1000 euros. Alors la DS7 elle est peut-être très belle, mais nous on n’arrivera jamais, jamais à se l’acheter ». Et d’ajouter en le pointant du doigt : « Vous êtes ministre des Finances ? Vous êtes venu ici pour faire respecter la loi ? Tous ces intérimaires qui le sont d’année en année, vous savez qu’on n’a pas le droit, vous savez qu’à un moment il faut les embaucher ! »

Face à cette accusation directe, Bruno Le Maire cherche à reprendre la parole sans attendre. Sa première manœuvre est d’exiger des salutations dignes de ce nom : « Bonjour Monsieur… Vous me pourriez me dire bonjour non ? Vous ne m’avez pas dit bonjour ». Première occasion manquée : en imposant une politesse minimale, Bruno Le Maire prend la posture du donneur de leçon. Attitude généralement mal perçue qui se retourne souvent contre celui qui y prétend, et c’est ce qui se passe ici : le syndicaliste l’a en effet salué, par un jovial « Comment vous allez ? Bonjour ça va bien ? »

En psychologie, dans la théorie de l’engagement, il a été montré que le simple fait de demander « comment ça va ? » pour introduire un échange permet de faire d’autant mieux accepter les éventuelles requêtes qui suivront [1]. Bruno Le Maire a donc ainsi été « piégé » par cette apparente cordialité, entraîné moins dans un véritable échange que dans un mouvement dirigé contre sa personne par son interlocuteur. La suite du propos contraste brusquement avec cette entrée en matière, provoquant une réaction négative – souhaitée et attendue par le syndicaliste, cristallisant la lutte riches contre pauvres sur laquelle il bâtit son argumentaire. Le ton monte, les caméras tournent.

Une attitude de confrontation amplifiée par la configuration

On confond souvent le pouvoir avec la force. En politique, les candidats se démarquent par leur gouaille, leur capacité à clouer le bec de leurs contradicteurs, à avoir le dernier mot en toute circonstance. La vie politique se structure au travers des oppositions permanentes, rythmée par des débats qui ne sont en réalité que des joutes verbales, où il faut dominer et montrer que l’on tient tête, coûte que coûte. La configuration des échanges renforce cette attitude belliqueuse : quand Bruno Le Maire donne la réplique à Salah Keltoumi, ce n’est pas pour tenter de le convaincre. De même, Salah Keltoumi n’espère aucune indulgence de son contradicteur : il s’est préparé au combat et le provoque volontairement. Ils ne cherchent pas a débattre l’un et l’autre, mais à s’imposer face aux caméras, à montrer qu’ils ne se laissent pas faire.

Il n’y a aucune volonté d’échange. L’un comme l’autre s’adresse avant tout aux objectifs des caméras, à tous ceux qui verront la vidéo, et non aux seules personnes réellement présentes. Supprimez les caméras et la tension retombera d’un cran. On pourrait faire un parallèle avec la physique quantique, où l’on admet que l’observateur modifie la réalité observée, et que « plus l’intensité d’observation est grande, plus l’influence de l’observateur sur ce qui se produit est importante » [2]. De même, en communication politique, plus l’audience qui pourra observer un échange par médias interposés est grande, plus cet échange se modifie et la polarisation s’intensifie.

Le dialogue de sourds qui s’instaure entre le ministre et le syndicaliste ne sert ni l’un ni l’autre. Les partisans d’un Etat fort, qui se fait respecter, a priori plutôt à droite de l’échiquier politique, apprécieront certainement l’attitude de Bruno Le Maire qui refuse de se faire malmener, et s’agaceront des agitations de Salah Keltoumi. A l’inverse, les personnes, davantage à gauche, sensibles au sort des travailleurs seront indignées voire choquées par l’attitude du ministre, qu’elles pourront juger condescendante, méprisante, et applaudiront la verve de l’ouvrier tentant de faire entendre sa voix face aux « puissants ». Quand Bruno Le Maire reproche à Salah Keltoumi de verser dans la caricature, c’est lui qui risque de passer pour une caricature d’homme de droite aux yeux de ses opposants. La polarisation tend à son paroxysme, aucun des deux n’avance vraiment dans la défense de sa cause, si ce n’est aux yeux de leur base (déjà acquise).

Il existe pourtant un autre mode de communication, qui permet à chacun de tirer parti de la situation.

Un dénouement positif possible avec la Communication Non Violente

A l’opposé de cette volonté de « dominer » l’échange, et, au fond, de dominer l’autre, Bruno Le Maire manque ici une occasion d’appliquer les principes élémentaires d’une Communication Non Violente ou « CNV ». La CNV est une méthode élaborée par Marshall Rosenberg dans les années 70. Elle vise à mieux gérer les conflits, pacifier les relations, et, in fine, trouver de meilleures solutions face aux situations générant des tensions. Le processus de la CNV s’articule en 4 étapes bien définies :

  • Tout d’abord, l’observation : il s’agit simplement de décrire la situation telle qu’elle nous apparaît, en s’en tenant aux faits et non en procédant à des jugements ;
  • Ensuite, l’expression des sentiments et attitudes suscités par cette situation ;
  • Puis vient la phase fondamentale de verbalisation du besoin : souvent, nous basculons dans l’agressivité parce que nous ne trouvons pas d’autres moyens d’exprimer ce que nous voulons vraiment (nous n’osons pas, ou nous n’avons pas les mots pour le dire). Plus nous sommes soumis à nos émotions, moins nous sommes capables de formuler clairement ce que nous voulons ;
  • Enfin, formuler une demande (par rapport au besoin que l’on a pu verbaliser), qui n’est en aucun cas une exigence. Autant que possible, cette demande doit être réaliste et réalisable, concrète, suffisamment précise et formulée positivement et non par la négative (« le résultat doit être comme ceci », et non « le résultat ne doit pas être comme cela, ni comme cela, etc. »).

Dans ce cas précis, il s’agirait donc de prendre le contrepied de l’attitude « dominante » que le politique pense échoir à sa fonction, et appliquer un mode de dialogue court-circuitant cette escalade de violence verbale.

Le ministre aurait d’abord pris le temps d’écouter respectueusement tout ce que l’ouvrier avait à dire face à lui, pour ensuite lui demander : « Vous êtes en colère parce que vous avez le sentiment que vos patrons gagnent beaucoup d’argent, alors que des emplois sont supprimés ? C’est bien cela ? ». Puis, petit à petit, aurait ramené le syndiqué à sa cause.

Coup doublement gagnant pour les deux : le syndicaliste se sentirait écouté et compris dans sa requête, ce qui le valoriserait auprès des personnes qu’il représente. Quant au ministre, il affirmerait ainsi un authentique leadership, non dans son aptitude à ne pas se faire malmener, mais dans sa capacité a verbaliser les problèmes et tensions vécus par ses interlocuteurs et surmonter les oppositions par le dialogue.

Généralement relégués au rayon « développement personnel », les principes de la CNV ont en réalité toute leur place et leur pertinence en communication politique et en communication de crise.

Un homme politique pourrait penser que placer l’empathie au cœur de sa communication le conduirait à une posture jugée « faible », à l’opposition de la force qu’il souhaite incarner en tant que représentant du pouvoir. C’est oublier que dans notre imaginaire démocratique, un représentant représente d’abord et surtout le peuple, et non l’Etat – auprès duquel il assure justement cette représentation. La reconstruction de la parole politique, et de l’autorité qui en émane, passe moins par l’expression de la force que par la force de l’expression. La parole politique est d’abord la capacité à verbaliser, à traduire en mots les aspirations collectives et populaires qui s’expriment maladroitement par les remous de la société civile. Un authentique leader rassure et inspire confiance : il est celui à qui nous donnons nos voix, pour qu’il les traduise par la parole qu’il nous donne.

Notes

[1] La technique a été baptisée « pied-dans-la-bouche » par Robert-Vincent Joule et Jean-Louis Beauvois dans leur Petit traité de la manipulation à l’usage des honnêtes gens, sur la base d’une expérience menée en 1990 par Daniel Howard.

[2] Heiblum (1998), Institut Weizmann

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