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Meurtre d’Antoine Dupont : pouvait-on repérer le mensonge de son beau-père ?

Jeudi 3 mars 2016 : le beau-père d’Antoine Dupont, disparu le 28 janvier 2015, est passé aux aveux. Après un an de mensonges, Marc Demeulemeester, qui avait activement participé à la recherche de l’adolescent depuis sa disparition, vient de reconnaître avoir étranglé Antoine Dupont dans son sommeil avec du fil de fer. Avant d’indiquer, aux enquêteurs, la localisation du corps de l’enfant, dans le canal d’Aire.

Plusieurs fois apparu dans les médias dans le cadre d’appels à témoins, la question qui se pose aujourd’hui, comme dans tous les cas similaires où c’est un proche qui est en réalité impliqué dans la disparition d’un enfant, est la suivante : pouvait-on savoir que c’était lui ?

Si suite aux aveux, bon nombre de personnes vont se livrer à de la post-rationalisation (« ça se voyait qu’il mentait, il baissait beaucoup trop les yeux », « il s’est gratté le nez en disant cela », etc.), il est tout d’abord essentiel de réaliser que détecter un mensonge est une tâche extrêmement compliquée. Sans entraînement, nous ne sommes ainsi en moyenne que corrects à 54% dans nos jugements pour dire si quelqu’un ment (Bond, Jr. & DePaulo, 2006). Et pour cause : les signaux du mensonge sont généralement faibles et difficiles à détecter (DePaulo et al., 2003). Et ce, d’autant plus quand on ne peut pas interroger soi-même la personne suspectée de mentir, et définir une stratégie d’entretien permettant de se faciliter la tâche.

Dans les quelques rapides déclarations de Marc Demeulemeester, était-il pour autant impossible de douter de la crédibilité du beau-père d’Antoine Dupont ?

Notre avis : il y avait au moins 4 signaux faibles du mensonge dans les déclarations de Marc Demeulemeester.

Interview de Marc Demeulemeester (avril 2015)

1. Une pauvreté des détails sur le contexte de la disparition

Si Marc Demeulemeester semblait volontiers se présenter devant les journalistes et organiser les campagnes de recherche de l’adolescent, il est notablement plus flou lorsqu’il s’agissait de fournir des détails sur le contexte de la disparition d’Antoine Dupont. Dans son interview d’avril 2015 en effet, qu’apprend-on ? Simplement que l’adolescent « était là », à son domicile, dans l’après-midi…puis qu’il ne l’était plus.

Ce manque de détails dans ce segment contraste avec le reste de l’interview, où Marc Demeulemeester est sensiblement plus loquace.

2. Des signes d’une activité cognitive sur le contexte de la disparition

Autre élément notable dans ce segment (30 premières secondes de l’interview), Marc Demeulemeester montre de nombreux signes de réflexion. De fait, mentir est une activité cognitive complexe, puisque la personne doit alors à la fois se rappeler de sa version des faits et contrôler son comportement pour transmettre une bonne impression à ses interlocuteurs.

Dans ce segment, l’un des seuls où Marc Demeulemeester est en réalité véritablement en train de mentir dans cette interview, on remarque notamment :

  • Des discontinuités dans ses paroles, un certain manque de fluidité
  • Un clignement d’yeux particulièrement long, caractéristique d’une charge cognitive, lorsqu’il dit « je ne l’ai pas vu partir » (00:00:16)

Cognitive load

3. Un manque global d’émotions

S’il serait inexact d’affirmer que Marc Demeulemeester ne montre aucune émotion dans ses interviews (il montre notamment sur l’image ci-dessous des signes de la famille d’émotions de la tristesse, dont d’ailleurs le regret fait partie), force est de constater que ces signes d’émotions sont relativement rares et très contenus, compte-tenu de la nature de la situation.

Facial Action Coding System

4. Un langage distancier et un choix de pronom dilutif

  • Journaliste (00:01:57) : Vous n’avez aucune idée aujourd’hui d’où est Antoine ?
  • Marc Demeulemeester : Non. Non. C’est ça le truc c’est qu’on n’a aucune idée. Et justement à la fin de cette battue, si on ne trouve rien bah peut-être on ne sait pas où est-ce qu’il est aujourd’hui, mais on sait où est-ce qu’il n’est pas. C’est un petit début de quelque chose. C’est infime, mais quand on n’a rien c’est beaucoup.

Enfin, lorsque Marc Demeulemeester est interrogé personnellement par une journaliste sur sa connaissance du lieu éventuel où Antoine Dupont pourrait se trouver, son beau-père choisit de répondre avec le pronom personnel « on », qui le dilue au sein du groupe de recherche, plutôt que de répondre personnellement avec le pronom personnel « je » (ex : « Non, je n’en ai aucune idée »).

Ce stratagème linguistique, utilisé par Marc Demeulemeester, lui permet de se distancier psychologiquement de sa victime, et surtout de détourner l’attention de sa personne en la diluant au sein du groupe.

Crédit photos et vidéo : France 3 Nord-Pas-de-Calais

Références :

Bond, Jr., C., & DePaulo, B. (2006). Accuracy of Deception Judgments: Appendix A. Personality And Social Psychology Review, 10(3). http://dx.doi.org/10.1207/s15327957pspr1003_2a

DePaulo, B., Lindsay, J., Malone, B., Muhlenbruck, L., Charlton, K., & Cooper, H. (2003). Cues to deception. Psychological Bulletin, 129(1), 74-118. http://dx.doi.org/10.1037/0033-2909.129.1.74

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