Effect Indirect de l'Inhibition

Vous voulez mieux mentir ? Retenez votre « envie pressante »

Des chercheurs de la California State University ont réalisé une étude montrant qu’une personne ment mieux si elle a envie d’uriner. Le cerveau, qui inhibe alors un besoin physique, réalise dans le même temps une inhibition cognitive qui permet de mentir plus efficacement. On parle d’Effet Indirect de l’Inhibition (Inhibitory-Spillover-Effect).

Avoir un besoin urgent d’uriner aiderait à mentir plus efficacement. Les signaux que l’on active malgré soi quand on raconte un mensonge (comme la pauvreté du récit), seraient moins bien décelables si dans le même temps on a une envie pressante d’uriner. L’étude menée par une équipe de chercheurs américains de la California State University, est arrivée à la conclusion suivante : le comportement que le cerveau adopte lorsqu’il maîtrise la vessie influe sur la capacité à contrôler dans le même temps un tout autre domaine, celui de mentir efficacement. Ce lien qui existe entre ces deux actions si différentes s’appelle l’ISE, l’ « Inhibitory-Spillover-Effect » (l’Effet Indirect de l’Inhibition). En l’occurrence, réprimer son envie d’uriner améliore simultanément sa « capacité à inhiber notre tendance naturelle à dire la vérité ».

Pour arriver à cette conclusion, l’équipe a réalisé deux expériences différentes. Au préalable, les 22 participants de cette étude ont uriné et ensuite soit bu cinq grands verres d’eau (l’équivalent de 70 centilitres) ou bien cinq petites gorgées, représentant 0,5 centilitres. Le but de leur faire boire des quantités d’eau différentes était que leur envie d’uriner soit plus ou moins forte. Après avoir attendu 45 minutes, le temps que leur vessie se remplisse, les chercheurs leur ont posé des questions sur des sujets polémiques, comme la peine de mort, le contrôle des armes ou le droit des homosexuels. Devant prendre position sur les thèmes sociétaux qui leur tenait le plus à cœur, ils devaient soit dire ce qu’ils pensaient soit mentir. Filmés pendant leur intervention, on leur demandait d’être le plus convaincant possible.

Une meilleure assurance et plus convaincant

Dans la première expérience, des observateurs aveugles aux conditions de l’étude devaient regarder chacune des déclarations filmées des participants. L’équipe de scientifiques leur demandait alors d’évaluer les réponses des participants, notamment la charge cognitive (« à quel point le participant semble-t-il réfléchir ? »), le degré d’anxiété mais également la confiance et la capacité à convaincre (par exemple, via la question : « à quel point la réponse est-elle détaillée ? »). Résultats : les personnes qui mentaient sur leurs opinions personnelles et qui avaient le plus envie d’uriner, montraient moins les indices comportementaux du mensonge. Par exemple, ils donnaient moins l’impression d’avoir à réfléchir à leur réponse. À l’inverse, ils faisaient preuve d’une plus grande assurance et d’une meilleure capacité à persuader.

Dans la seconde expérience, d’autres observateurs extérieurs devaient directement évaluer si les participants disaient la vérité ou mentaient à partir de ces mêmes vidéos. En moyenne, seul 30% des mensonges des personnes avec l’envie d’uriner ont été décelés avec succès par les observateurs, contre 45% environ chez les personnes qui n’avaient pas la vessie pleine. En revanche, les participants qui disaient la vérité n’ont pas été plus convaincants parce qu’ils avaient la vessie pleine.

Réprimer son envie d’uriner permet d’être plus raisonnable

Mais comment se fait-il qu’il y ait un tel lien entre des actions si différentes ? Une méta-analyse datant de 2008 (Christ, Van Essen, Watson, Brubaker & McDermott) apporte des éléments de réponse : le fait de mentir provoque une activité accrue dans les régions particulièrement sollicitées dans le contrôle de l’inhibition, la mémoire de travail et le changement de tâche. Ces différentes activités partagent le même système neurologique, logé notamment dans le cortex préfrontal et le cortex cingulaire antérieur. Ces deux régions du cerveau sont aussi plus actives quand on dit un mensonge plutôt que la vérité.

Une autre étude (Tuk, Trampe & Warlop, 2011) montrait qu’une personne arrivait plus facilement à prendre une décision raisonnable si elle avait la vessie pleine. L’expérience dans cette étude consistait à demander aux participant s’ils préféraient recevoir 16 euros le lendemain ou 35 euros les 35 jours suivants. Les personnes qui éprouvaient un besoin fort d’uriner ont plus souvent choisi la seconde option alors que ceux qui avaient une faible envie, choisissaient plus largement la première option.

Last but not least, un article du Guardian relate que le Premier Ministre britannique David Cameron a une habitude originale : il garde sa vessie pleine avant des discours ou des négociations pour rester concentré et alerte. Mais on ne sait pas si c’est pour prendre des décisions raisonnables ou mieux mentir…

 

Références :

Christ, S., Van Essen, D., Watson, J., Brubaker, L., & McDermott, K. (2008). The Contributions of Prefrontal Cortex and Executive Control to Deception: Evidence from Activation Likelihood Estimate Meta-analyses. Cerebral Cortex, 19(7), 1557-1566. http://dx.doi.org/10.1093/cercor/bhn189

Fenn, E., Blandón-Gitlin, I., Coons, J., Pineda, C., & Echon, R. (2015). The inhibitory spillover effect: Controlling the bladder makes better liars. Consciousness And Cognition, 37, 112-122. http://dx.doi.org/10.1016/j.concog.2015.09.003

Tuk, M., Trampe, D., & Warlop, L. (2011). Inhibitory Spillover: Increased Urination Urgency Facilitates Impulse Control in Unrelated Domains. Psychological Science, 22(5), 627-633. http://dx.doi.org/10.1177/0956797611404901

 

CC. Crédit photo : Jon-Eric Melsæter

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Effect Indirect de l'Inhibition

Vous voulez mieux mentir ? Retenez votre « envie pressante »

Des chercheurs de la California State University ont réalisé une étude montrant qu’une personne ment mieux si elle a envie d’uriner. Le cerveau, qui inhibe alors un besoin physique, réalise dans le même temps une inhibition cognitive qui permet de mentir plus efficacement. On parle d’Effet Indirect de l’Inhibition (Inhibitory-Spillover-Effect).

Avoir un besoin urgent d’uriner aiderait à mentir plus efficacement. Les signaux que l’on active malgré soi quand on raconte un mensonge (comme la pauvreté du récit), seraient moins bien décelables si dans le même temps on a une envie pressante d’uriner. L’étude menée par une équipe de chercheurs américains de la California State University, est arrivée à la conclusion suivante : le comportement que le cerveau adopte lorsqu’il maîtrise la vessie influe sur la capacité à contrôler dans le même temps un tout autre domaine, celui de mentir efficacement. Ce lien qui existe entre ces deux actions si différentes s’appelle l’ISE, l’ « Inhibitory-Spillover-Effect » (l’Effet Indirect de l’Inhibition). En l’occurrence, réprimer son envie d’uriner améliore simultanément sa « capacité à inhiber notre tendance naturelle à dire la vérité ».

Pour arriver à cette conclusion, l’équipe a réalisé deux expériences différentes. Au préalable, les 22 participants de cette étude ont uriné et ensuite soit bu cinq grands verres d’eau (l’équivalent de 70 centilitres) ou bien cinq petites gorgées, représentant 0,5 centilitres. Le but de leur faire boire des quantités d’eau différentes était que leur envie d’uriner soit plus ou moins forte. Après avoir attendu 45 minutes, le temps que leur vessie se remplisse, les chercheurs leur ont posé des questions sur des sujets polémiques, comme la peine de mort, le contrôle des armes ou le droit des homosexuels. Devant prendre position sur les thèmes sociétaux qui leur tenait le plus à cœur, ils devaient soit dire ce qu’ils pensaient soit mentir. Filmés pendant leur intervention, on leur demandait d’être le plus convaincant possible.

Une meilleure assurance et plus convaincant

Dans la première expérience, des observateurs aveugles aux conditions de l’étude devaient regarder chacune des déclarations filmées des participants. L’équipe de scientifiques leur demandait alors d’évaluer les réponses des participants, notamment la charge cognitive (« à quel point le participant semble-t-il réfléchir ? »), le degré d’anxiété mais également la confiance et la capacité à convaincre (par exemple, via la question : « à quel point la réponse est-elle détaillée ? »). Résultats : les personnes qui mentaient sur leurs opinions personnelles et qui avaient le plus envie d’uriner, montraient moins les indices comportementaux du mensonge. Par exemple, ils donnaient moins l’impression d’avoir à réfléchir à leur réponse. À l’inverse, ils faisaient preuve d’une plus grande assurance et d’une meilleure capacité à persuader.

Dans la seconde expérience, d’autres observateurs extérieurs devaient directement évaluer si les participants disaient la vérité ou mentaient à partir de ces mêmes vidéos. En moyenne, seul 30% des mensonges des personnes avec l’envie d’uriner ont été décelés avec succès par les observateurs, contre 45% environ chez les personnes qui n’avaient pas la vessie pleine. En revanche, les participants qui disaient la vérité n’ont pas été plus convaincants parce qu’ils avaient la vessie pleine.

Réprimer son envie d’uriner permet d’être plus raisonnable

Mais comment se fait-il qu’il y ait un tel lien entre des actions si différentes ? Une méta-analyse datant de 2008 (Christ, Van Essen, Watson, Brubaker & McDermott) apporte des éléments de réponse : le fait de mentir provoque une activité accrue dans les régions particulièrement sollicitées dans le contrôle de l’inhibition, la mémoire de travail et le changement de tâche. Ces différentes activités partagent le même système neurologique, logé notamment dans le cortex préfrontal et le cortex cingulaire antérieur. Ces deux régions du cerveau sont aussi plus actives quand on dit un mensonge plutôt que la vérité.

Une autre étude (Tuk, Trampe & Warlop, 2011) montrait qu’une personne arrivait plus facilement à prendre une décision raisonnable si elle avait la vessie pleine. L’expérience dans cette étude consistait à demander aux participant s’ils préféraient recevoir 16 euros le lendemain ou 35 euros les 35 jours suivants. Les personnes qui éprouvaient un besoin fort d’uriner ont plus souvent choisi la seconde option alors que ceux qui avaient une faible envie, choisissaient plus largement la première option.

Last but not least, un article du Guardian relate que le Premier Ministre britannique David Cameron a une habitude originale : il garde sa vessie pleine avant des discours ou des négociations pour rester concentré et alerte. Mais on ne sait pas si c’est pour prendre des décisions raisonnables ou mieux mentir…

Références :

Christ, S., Van Essen, D., Watson, J., Brubaker, L., & McDermott, K. (2008). The Contributions of Prefrontal Cortex and Executive Control to Deception: Evidence from Activation Likelihood Estimate Meta-analyses. Cerebral Cortex, 19(7), 1557-1566. http://dx.doi.org/10.1093/cercor/bhn189

Fenn, E., Blandón-Gitlin, I., Coons, J., Pineda, C., & Echon, R. (2015). The inhibitory spillover effect: Controlling the bladder makes better liars. Consciousness And Cognition, 37, 112-122. http://dx.doi.org/10.1016/j.concog.2015.09.003

Tuk, M., Trampe, D., & Warlop, L. (2011). Inhibitory Spillover: Increased Urination Urgency Facilitates Impulse Control in Unrelated Domains. Psychological Science, 22(5), 627-633. http://dx.doi.org/10.1177/0956797611404901

CC. Crédit photo : Jon-Eric Melsæter

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