Le big data sera-t-il la nouvelle arme antifraude ?

Dans leur combat contre la tricherie, assureurs et banquiers fondent beaucoup d’espoirs sur une nouvelle arme à même de détecter automatiquement les dossiers et les paiements suspicieux : le big data. Associées à l’approche humaine, les mégadonnées offrent la promesse d’une complémentarité gagnante.

D’un mode artisanal, quoique de plus en plus structuré, la détection des fraudes au sein des compagnies d’assurance pourrait franchir une étape décisive grâce à l’apport du big data. En exploitant le stockage informatique de leurs données, puis, en fonction des possibilités réglementaires, de l’open data, à savoir les informations disponibles sur les canaux digitaux publics, les assureurs gagneront en efficacité pour traquer l’assuré malhonnête et surtout les réseaux malveillants. Un enjeu lorsque l’on sait que les groupes d’assurance n’ont récupéré que 219 M€ sur un total d’environ 2,5 Md€ indûment versés à des fraudeurs, en dommages, l’an dernier. « C’est un sujet sensible sur lequel les assureurs ne nous font pas trop travailler… Le big data redonne un élan à la surveillance des porte­feuilles et les compagnies en attendent beaucoup en terme d’analyse prédictive. La fraude s’intègre toutefois à des projets globaux liés à l’exploitation de la mégadonnée qui nous sont confiés. Aujourd’hui le stade est expérimental », livre un consultant d’un cabinet de conseil du secteur. Confirmation auprès d’Aviva qui dispose, à l’instar de nombreux assureurs, d’une cellule antifraude travaillant main dans la main avec des gestionnaires de sinistres avertis, mais qui ne détectent, en dépit de cette synergie, qu’un cinquième du potentiel de tromperies dont le groupe fait l’objet. « L’analyse prédictive nous offre la possibilité de nous attaquer aux 4/5e restants », s’enthousiasme Christophe Lambert, responsable lutte antifraude et anti-blanchiment d’Aviva Assurances qui a démarré un projet d’historisation et de croisement numérique de ses dossiers inter­nes de fraudes remontant à l’an 2000 (lire encadré). Objectif : créer des modèles prédictifs par corrélation de cas avérés.

AUTOMATISER LES SCÉNARIOS

C’est une visite chez les équipes antifraude et R&D canadiennes d’Aviva qui a enclenché le chantier français. Si le flair de l’humain reste irremplaçable, l’apport des scores prédictifs décuple les potentialités en matière de traque à la tricherie, dès l’ouverture du sinistre. « Nous avons esti­mé un gain de détection de la fraude de 8 % supplémentaire », explique Xavier Munoz, responsable R&D au sein de la direction actuariat d’Aviva Assurances. Même son de cloche chezGroupama qui finalise son test avec un prestataire. « Nous industrialisons d’ores et déjà les requêtes. L’utilisation des outils de détection nous permet, dans 95 % des dossiers sinistres, d’en accélérer la gestion et d’indemniser plus rapidement nos bons clients. Le big data croise les données en temps réel. L’outil que nous testons s’appuie sur des critères d’alertes “métiers”, ainsi que sur les liens entre différents dossiers (numéros de téléphone identiques sur plusieurs dossiers, même immatriculation…), mettant d’emblée en évidence une anomalie. Soit la manœuvre frauduleuse est immédiatement révélée, soit des investigations complémentaires d’enquêteurs certifiés sont nécessaires », souligne David Jouglet, directeur sinistres de Groupama.

LA PETITE START-UP QUI ÉPINGLE LES FRAUDEURS

Aider les assureurs à identifier leurs clients perfides, c’est justement le métier de Shift Technology. Créée début 2014, cette start-up – nichée dans une pépinière du 15e arrondissement de Paris – est en pleine croissance. Elle remporte appel d’offres sur appel d’offres et emploie déjà 25 collaborateurs, designers, juristes et évidemment data scientists. « L’idée nous est venue quand, étudiant à Polytechnique avec éric Sibony, nous avons effectué notre stage chez un assureur auprès de gestionnaires antifraude », raconte Jérémy Jawish, dirigeant-fondateur de cette TPE. Il trouve alors les logiciels disponibles sur le marché limités à la seule incorporation brute de statistiques. Avec l’arrivée d’un troisième associé, David Durrleman, expert en intégration de données externes et en nettoyage informatique, le polytechnicien combine dans une solution des indicateurs métier complexes à des mathématiques poussées. L’idée, une fois de plus, consiste à créer des scénarios automatiques de détection. « On récupère les données des assureurs, on les sécurise, on les traite et on renvoie les sinistres avec un score de suspicions. Nous investiguons aussi le réseau social du groupe qui relie les personnes et les sinistres entre eux afin d’identifier les bandes organisées », poursuit le jeune patron, sorte de bras droit des gestionnaires antifraude. En mode SaaS (software as a service), sa solution, déjà plébiscitée par 5 clients, nécessite 4 mois de mise en place. Shift Technology, soutenue par les fonds Elaia et Iris Capital, a ainsi traité 3,5 millions de sinistres l’an dernier. Un chiffre qui devrait doubler dès 2016. « Le big data sera un élément clé pour déterminer les cas récurrents de fraudes », confirme édouard Noury, directeur des ventes services financiers d’Itesoft qui lance, de son côté, une offre de détection automatisée des pièces justificatives douteuses. L’engouement suscité autour du numérique et du big data rend toutefois circonspect un expert en comportements frauduleux. Camille Srour, fondateur d’Othello, qui temporise la ferveur de ses confrères : « Dans sa mise en œuvre, le big data est lourd pour les entreprises. Il faut une disponibilité des données avec un back office informatique complexe. » Le futur déborde pourtant de promesses. Aviva envisage de créer des scores à plusieurs étapes avec des mises à jour tout au long de la vie du sinistre. Quant à l’utilisation des données externes issues des pages Web, réseaux sociaux, sites marchands ou encore objets connectés à des fins de lutte antifraude, «leur stockage n’est pas autorisé », rappelle Xavier Munoz. à l’aube du Web 3.0 « l’environnement juridique doit donc évoluer», glisse le spécialiste d’Aviva Assurances. Tandis que l’Alfa réfléchit au partage de ces mégadonnées entre assureurs, les banquiers, eux, sont déjà partis au combat.

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Le big data sera-t-il la nouvelle arme antifraude ?

Dans leur combat contre la tricherie, assureurs et banquiers fondent beaucoup d’espoirs sur une nouvelle arme à même de détecter automatiquement les dossiers et les paiements suspicieux : le big data. Associées à l’approche humaine, les mégadonnées offrent la promesse d’une complémentarité gagnante.

D’un mode artisanal, quoique de plus en plus structuré, la détection des fraudes au sein des compagnies d’assurance pourrait franchir une étape décisive grâce à l’apport du big data. En exploitant le stockage informatique de leurs données, puis, en fonction des possibilités réglementaires, de l’open data, à savoir les informations disponibles sur les canaux digitaux publics, les assureurs gagneront en efficacité pour traquer l’assuré malhonnête et surtout les réseaux malveillants. Un enjeu lorsque l’on sait que les groupes d’assurance n’ont récupéré que 219 M€ sur un total d’environ 2,5 Md€ indûment versés à des fraudeurs, en dommages, l’an dernier. « C’est un sujet sensible sur lequel les assureurs ne nous font pas trop travailler… Le big data redonne un élan à la surveillance des porte­feuilles et les compagnies en attendent beaucoup en terme d’analyse prédictive. La fraude s’intègre toutefois à des projets globaux liés à l’exploitation de la mégadonnée qui nous sont confiés. Aujourd’hui le stade est expérimental », livre un consultant d’un cabinet de conseil du secteur. Confirmation auprès d’Aviva qui dispose, à l’instar de nombreux assureurs, d’une cellule antifraude travaillant main dans la main avec des gestionnaires de sinistres avertis, mais qui ne détectent, en dépit de cette synergie, qu’un cinquième du potentiel de tromperies dont le groupe fait l’objet. « L’analyse prédictive nous offre la possibilité de nous attaquer aux 4/5e restants », s’enthousiasme Christophe Lambert, responsable lutte antifraude et anti-blanchiment d’Aviva Assurances qui a démarré un projet d’historisation et de croisement numérique de ses dossiers inter­nes de fraudes remontant à l’an 2000 (lire encadré). Objectif : créer des modèles prédictifs par corrélation de cas avérés.

AUTOMATISER LES SCÉNARIOS

C’est une visite chez les équipes antifraude et R&D canadiennes d’Aviva qui a enclenché le chantier français. Si le flair de l’humain reste irremplaçable, l’apport des scores prédictifs décuple les potentialités en matière de traque à la tricherie, dès l’ouverture du sinistre. « Nous avons esti­mé un gain de détection de la fraude de 8 % supplémentaire », explique Xavier Munoz, responsable R&D au sein de la direction actuariat d’Aviva Assurances. Même son de cloche chezGroupama qui finalise son test avec un prestataire. « Nous industrialisons d’ores et déjà les requêtes. L’utilisation des outils de détection nous permet, dans 95 % des dossiers sinistres, d’en accélérer la gestion et d’indemniser plus rapidement nos bons clients. Le big data croise les données en temps réel. L’outil que nous testons s’appuie sur des critères d’alertes “métiers”, ainsi que sur les liens entre différents dossiers (numéros de téléphone identiques sur plusieurs dossiers, même immatriculation…), mettant d’emblée en évidence une anomalie. Soit la manœuvre frauduleuse est immédiatement révélée, soit des investigations complémentaires d’enquêteurs certifiés sont nécessaires », souligne David Jouglet, directeur sinistres de Groupama.

LA PETITE START-UP QUI ÉPINGLE LES FRAUDEURS

Aider les assureurs à identifier leurs clients perfides, c’est justement le métier de Shift Technology. Créée début 2014, cette start-up – nichée dans une pépinière du 15e arrondissement de Paris – est en pleine croissance. Elle remporte appel d’offres sur appel d’offres et emploie déjà 25 collaborateurs, designers, juristes et évidemment data scientists. « L’idée nous est venue quand, étudiant à Polytechnique avec éric Sibony, nous avons effectué notre stage chez un assureur auprès de gestionnaires antifraude », raconte Jérémy Jawish, dirigeant-fondateur de cette TPE. Il trouve alors les logiciels disponibles sur le marché limités à la seule incorporation brute de statistiques. Avec l’arrivée d’un troisième associé, David Durrleman, expert en intégration de données externes et en nettoyage informatique, le polytechnicien combine dans une solution des indicateurs métier complexes à des mathématiques poussées. L’idée, une fois de plus, consiste à créer des scénarios automatiques de détection. « On récupère les données des assureurs, on les sécurise, on les traite et on renvoie les sinistres avec un score de suspicions. Nous investiguons aussi le réseau social du groupe qui relie les personnes et les sinistres entre eux afin d’identifier les bandes organisées », poursuit le jeune patron, sorte de bras droit des gestionnaires antifraude. En mode SaaS (software as a service), sa solution, déjà plébiscitée par 5 clients, nécessite 4 mois de mise en place. Shift Technology, soutenue par les fonds Elaia et Iris Capital, a ainsi traité 3,5 millions de sinistres l’an dernier. Un chiffre qui devrait doubler dès 2016. « Le big data sera un élément clé pour déterminer les cas récurrents de fraudes », confirme édouard Noury, directeur des ventes services financiers d’Itesoft qui lance, de son côté, une offre de détection automatisée des pièces justificatives douteuses. L’engouement suscité autour du numérique et du big data rend toutefois circonspect un expert en comportements frauduleux. Camille Srour, fondateur d’Othello, qui temporise la ferveur de ses confrères : « Dans sa mise en œuvre, le big data est lourd pour les entreprises. Il faut une disponibilité des données avec un back office informatique complexe. » Le futur déborde pourtant de promesses. Aviva envisage de créer des scores à plusieurs étapes avec des mises à jour tout au long de la vie du sinistre. Quant à l’utilisation des données externes issues des pages Web, réseaux sociaux, sites marchands ou encore objets connectés à des fins de lutte antifraude, «leur stockage n’est pas autorisé », rappelle Xavier Munoz. à l’aube du Web 3.0 « l’environnement juridique doit donc évoluer», glisse le spécialiste d’Aviva Assurances. Tandis que l’Alfa réfléchit au partage de ces mégadonnées entre assureurs, les banquiers, eux, sont déjà partis au combat.

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